Bonjour, c’est le Doc.

Avec mon équipe de scientifiques, je t’apporte les corrigés des épreuves de sciences. Je réponds aussi à tes questions sur Substack. Et avec mon équipe de profs de lettres, je vais te préparer à la dissertation.

À l’origine, ce texte est un livre publié par H&K. Il s’appelle La méthode facile pour réussir les dissertations. Si tu préfères le papier, tu peux l’acheter sur Amazon. Mais si tu es à l’aise avec ton téléphone, ou si tu veux le contenu tout de suite, bingo, tu es au bon endroit.

Le livre comporte 240 pages. Ci-dessous, tu peux lire gratuitement l’équivalent de 48 pages (20% du livre). Ça t’apportera déjà beaucoup d’informations. Si le contenu t’intéresse, tu pourras acheter l’accès au reste.

Les 100 premières pages sont consacrées à t’expliquer tout ce que tu dois comprendre et savoir sur la dissertation. La suite t’apporte des connaissances, des techniques, des exemples et des exercices corrigés sur le programme de cette année.

C’est moi qui vais t’expliquer l’exercice et la méthode à suivre. Je ne laisse pas les profs de lettres écrire cette partie parce qu’eux et nous, on ne parle pas la même langue. On a du mal à se comprendre. Alors je suis ton traducteur personnel.

Ma méthode est complètement conforme à ce qu’attendent les profs, c’est la manière de l’expliquer qui change. C’est la seule méthode qui explique la problématique par la poussée d’Archimède, la rigueur littéraire par la liberté d’une famille d’exponentielles bien connue et le danger des citations via un polynôme d’interpolation .

Je reprends tout depuis le début. Je réponds à des questions quantitatives qui sont naturelles pour nous, mais dont les profs de français ne parlent pas souvent, par exemple : quelle doit être la longueur, en lignes, de l’introduction ? de la conclusion ? Combien de questions dans la problématique ?

Tu auras du solide : un schéma de plan validé par les rapports des jurys, la vue d’ensemble d’une dissertation, un algorithme industriel pour générer des exemples et même le barème.

Tu as dû remarquer que quand les profs donnent des exemples, ils les empruntent aux grands classiques. Sauf que toi, tu ne les connais pas forcément. Pourtant, dans le fond, un exemple pédagogique peut venir de partout, pourvu qu’il illustre bien l’idée. Alors j’ai remplacé Dom Juan par Armageddon, Zadig par James Bond, Le Marchand de Venise par Terminator, Ampère par le professeur Tournesol et La Fontaine par Tolkien.

C’est la seule méthode de français qui te fera rire. Un peu pour te divertir, mais surtout parce que l’on retient mieux les illustrations qui frappent. Je veux aussi montrer l’exemple. Les profs conseillent d’écrire les dissertations dans un style simple, clair, précis ; j’en ai fait ma règle tout au long de la méthode.

En fait, je ne fais pas que traduire les profs. J’ai analysé la dissertation par la méthode scientifique. Je l’ai sondée de l’intérieur et éclairée de l’extérieur par des livres, des corrigés, et j’ai trouvé que la meilleure source, ce sont les rapports des jurys. La parole directe de ceux qui notent les copies. Ils répertorient les erreurs fréquentes, signalent les pièges et disent ce qu’ils attendent exactement. J’ai exploité 120 rapports provenant de Polytechnique, Mines-Ponts, Centrale-Supélec, CCINP, Banque PT, SCAV et G2E. Tout au long de la méthode, il y aura 150 extraits de ces rapports sur un fond bleu, comme ça :

« La méthode doit être strictement appliquée. Le candidat est donc supposé la connaître parfaitement et la mettre en pratique sans en dévier. »

Dans quelques dizaines de pages, tu « connaîtr[as] parfaitement » la méthode. Côté pile (  ), elle est une forme à respecter, un récipient pour accueillir ton vrai travail. Côté face (  ), c’est une manière de penser et d’écrire, et cela aussi sera expliqué en détail et illustré par des exemples.

« Une méthode n’est pas une recette. La rhétorique de la dissertation est un "pur moyen" qui ne doit pas devenir une "fin absolue". »

La méthode que je vais te présenter a été relue, corrigée, étendue puis validée par une prof en prépa. Par endroits, c’est elle qui s’exprimera, dans des encadrés sur fond vert.

Faire gagner des points et du temps aux concours, empêcher d’en perdre, c’est l’objectif d’une méthode écrite par un scientifique à destination de jeunes scientifiques. Avec les bons repères, les étapes clairement définies, la confiance s’établit, les progrès s’accomplissent, la réussite s’installe.

Avec la méthode, tu sauras ce qui est attendu de toi et comment le faire. C’est nécessaire, mais... pas suffisant. Tu as besoin de connaître les œuvres et le thème. Tu as aussi besoin d’exemples concrets de dissertations. Ce sera la deuxième partie de l’ouvrage.

Celle-ci est entièrement écrite par des profs de français ou de philosophie car dans une équipe qui fonctionne, chacun traite la partie qu’il sait le mieux faire. J’ai travaillé avec eux pour que leurs approches soient aussi parlantes et utilisables que possible.

Tu y trouveras les mots à connaître sur le thème (page 58), un best of des œuvres (page 61), les concepts à reconnaître derrière les énoncés (page 72) et des citations pour tes développements (page 69). Tu pourras aussi t’entraîner avec les 12 exercices de problématisation et les 5 fiches de synthèse. Plus des exemples d’analyses de sujets et des corrigés complets.

Leur résultat est remarquable. Mais il y a deux choses que ni eux ni moi ne pouvons te donner. La première, c’est une connaissance de première main des œuvres. Tu dois vraiment les lire et te les approprier (page 25). Est-ce que tu connaîtrais ton cours de physique si tu te contentais d’écouter ce qu’en disent les autres ? C’est pareil en français.

La deuxième, c’est la pratique. Lis les exercices de ce livre et réfléchis par toi-même, téléphone éteint, avant de lire la solution. Parfois, une minute suffira, d’autres fois tu auras besoin d’une demi-heure, crayon en main. Là aussi, qu’est-ce que tu saurais réellement faire en maths si tu te contentais de lire des solutions sans jamais chercher par toi-même ?

Allez, grimpe à bord : on y va. Premier arrêt : les écrans de contrôle de la NASA.

Sommaire

La méthode

Pourquoi ?

Pourquoi imposer une épreuve littéraire à des scientifiques ?    13

Pourquoi les concours ont-ils choisi la dissertation ?    17

Pourquoi un thème et trois œuvres ?    22

Comment ?

Comment les correcteurs notent les copies de français    28

Comment faire avouer la citation de l’énoncé    30

Comment connecter la citation et les œuvres    32

Comment construire une problématique qui tape dans le mille    35

Comment élaborer facilement un plan : en effet, toutefois, en fait     37

Comment rédiger un devoir de français    40

Comment charmer le correcteur dès l’introduction    44

Comment faciliter le travail du correcteur en balisant le cheminement    46

Comment affirmer un argument et le prouver dans chaque sous-partie    50

Comment conclure en beauté: fromage et dessert    54

Comment disserter en nombre limité de mots à Centrale-Supélec    56

Le thème et les œuvres

Les mots pour parler du thème « Expériences de la nature »    58

Exercices d’exploitation des œuvres    61

Fiches de synthèse    66

Les citations à connaître    69

Exercices de problématisation

Les sens du mot « nature »    72

Comment construire une problématique    74

La Nature comme principe de développement

Libellé 1
« [E]t qu’au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver [...] et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. » (Descartes)    75

Libellé 2
« Peu importe ce que dit la pendule ou ce que disent les attitudes et les labeurs des hommes. Le matin est là lorsque je suis éveillé et que j’ai de l’aube en moi. » (Henry Thoreau)    

Libellé 3
« L’éducation nous vient de la nature, ou des hommes ou des choses. [...] Celui-là seul est bien élevé. » (Rousseau)    

La Nature comme principe d’ordre

Libellé 4
« La montagne est la montagne et l’eau est l’eau. » (moine bouddhiste)    

Libellé 5
« Nature ne s’oppose pas à coutume car il y a des coutumes naturelles. Nature ne s’oppose pas à convention [...]. Nature ne s’oppose pas à invention, les inventions n’étant que des découvertes de la Nature elle-même. Mais Nature s’oppose à mythe. » (Deleuze)    

Libellé 6
« Le véritable ordre de la nature, c’est l’ordre que nous mettons techniquement dans la nature. » (Bachelard)    

La Nature comme principe de différences

Libellé 7
« Vu du dehors, la nature apparaît comme une immense efflorescence d’imprévisible nouveauté ; la force qui l’anime semble créer avec amour, pour rien, pour le plaisir, la variété sans fin des espèces végétales et animales ; à chacune elle confère la valeur absolue d’une grande œuvre d’art. » (Bergson)    

Libellé 8
« La nature attirait ceux qui étaient fatigués ou dégoûtés de l’homme et de ses œuvres. [...] La solitude et la liberté totale dans la nature créaient des conditions parfaites, à la fois pour la mélancolie et pour la jubilation. » (Roderick Nash)    

Libellé 9
« Une sombre forêt d’épicéas obscurcissait les deux rives du cours d’eau pris par les glaces. [...] C’était la sagesse puissante et incommunicable de l’éternité qui riait de la futilité de la vie et de l’effort de vivre. C’était la forêt sauvage, la forêt gelée du Grand Nord. » (Jack London)    

La Nature comme principe d’harmonie

Libellé 10
« Tout dans l’univers est soumis à un ordre certain, bien que cet ordre ne soit pas semblable pour tous les êtres, poissons, volatiles et plantes. [...] Pour chacun des êtres, le principe de leur action constitue leur nature propre ; je veux dire que tous les êtres tendent nécessairement à se distinguer par leurs fonctions diverses ; et, en général, toutes les choses qui contribuent, chacune pour leur part à un ensemble quelconque, sont soumises à cette même loi. » (Aristote)    

Libellé 11
« Toute la terre se prosterne devant Toi et chante en Ton honneur ; Elle chante Ton nom. » (Psaume 66 :4)    

Libellé 12
« L’expérience esthétique des choses naturelles, si impure qu’on puisse la trouver, à la confronter avec l’expérience des œuvres d’art, est signifiante : faire partie de la nature, ce n’est pas être chose parmi les choses dans l’univers du positivisme, et pas davantage être au monde comme le corrélat transcendantal du monde ; c’est être enraciné dans le réel. L’expérience esthétique d’un paysage nous fait éprouver notre co-naturalité avec la nature : l’assurance tranquille ou exaltante d’une intimité ombilicale avec la montagne que nous gravissons, la lumière qui nous pénètre, le vent qui nous caresse, le cri d’oiseau qui nous perce. » (Mickel Dufrenne)    

Sujets analysés

Libellé 13
« La nature ne fait rien en vain. » (Aristote)    77

Libellé 14
« En un mot, la nature des choses et l’expérience même me convainquirent, après de mûres réflexions, qu’en ce monde-ci nos biens n’ont du prix, par rapport à nous, que suivant l’usage que nous en faisons, et que nous n’en jouissons qu’autant que nous nous en servons. » (Daniel Defoe)    

Libellé 15
« Prétendrez-vous avec Descartes que [le poussin] est une pure machine imitative ? Mais les petits enfants se moqueront de vous ; et les philosophes vous répliqueront que, si c’est là une machine, vous en êtes une autre. [...] on obtient de la sensibilité, de la vie, de la mémoire, de la conscience, des passions, de la pensée. » (Diderot)    

Sujets analysés et rédigés

Libellé 16
« [...] Pourtant, dans une étrange dissonance, car nous sommes les mêmes personnes qui comptons la nature objectivement et qui la contons subjectivement, nos expériences de nature goûtent le monde intérieurement. » (Jean-Philippe Pierron)    80

Libellé 17
« Apprenez donc, sinon par mes préceptes, du moins par mon exemple, combien il est redoutable d’acquérir certaines connaissances, et combien plus heureux que l’homme qui aspire à devenir plus grand que sa nature ne l’y destine, est celui qui s’imagine que sa ville natale est le pivot de l’univers. » (Mary Shelley)    

Libellé 18
« Regarde en ce miroir que t’offre la Nature, / Par-delà le tombeau, l’antiquité future ! / Qu’y vois-tu ? Rien d’horrible ; une sécurité / Dont nul sommeil ne vaut le calme illimité. » (Lucrèce)    

Pourquoi imposer une épreuve littéraire à des scientifiques ?

Dans le film Armageddon (1998), un astéroïde va s’écraser sur la Terre et anéantir toute vie. La NASA alerte le président des États-Unis, qui se trouve à bord d’Air Force One.

Lorsque la communication s’établit, un astronome est en train d’exposer la situation à des collègues réunis en groupe de travail. Mal à l’aise, maladroit, habillé sans goût et physiquement flasque, il est une caricature de geek. C’est lui qui a pointé le satellite Hubble dans la bonne direction pour prendre une série de clichés et, conformément aux usages dans les cercles scientifiques, il présente lui-même son travail. Il désigne chaque photo à la suite :

— C’est l’anomalie à 16h43. Ici, c’est l’anomalie à 16h58 et là, c’est l’anomalie à...

Le président secoue la tête de gauche à droite et le coupe :

— Ça suffit avec ces c*nn*ries d’« anomalies ». C’est quoi, ce truc ?

Un gradé de la NASA, impeccablement vêtu, intervient :

— C’est un astéroïde, M. le président.

Depuis une salle de réunion à la Maison blanche, un général demande :

— Il fait quelle taille ?

Un deuxième astronome geek se lève à demi. Il ressemble au précédent, sans les lunettes mais sa cravate est desserrée. On peut supposer que c’est lui qui était chargé d’évaluer les dimensions de l’astéroïde. Il pense bien faire en donnant une information précise.

— Monsieur le président, notre meilleure estimation est de 97,6 millions...

Son chef l’interrompt aussitôt :

— Il fait la taille du Texas.

Dans cette scène, il y a deux types de personnages. D’un côté, des scientifiques plongés dans leurs domaines, compétents, passionnés, qui utilisent un mode de communication qu’ils trouvent clair et précis. De l’autre, le reste du monde, qui a besoin de leur expertise pour prendre une décision mais qui ne les comprend pas.

Et ce n’est pas qu’un problème de langue. C’est aussi l’état d’esprit qui diffère. Le premier geek montre les données parce que dans sa culture, il doit prouver ce qu’il avance ; le président, lui, ne s’intéresse pas à la preuve, il fait confiance à l’expert. Le geek s’attend à ce que les données parlent pour lui ; le président veut qu’un humain rende ses conclusions en une phrase brève et sans détour.

Quand les deux groupes ont besoin d’interagir en direct, d’échanger efficacement des informations pour sauver le monde, c’est un choc culturel. L’impuissance à communiquer est aussi massive que l’astéroïde.

On pourrait se dire : ce n’est qu’un film. Pourtant, ce n’est pas un hasard si les arts dépeignent des savants farfelus, déconnectés du quotidien, tels le professeur Tournesol dans Tintin ou Sheldon Cooper dans la série The big bang theory. Dans l’Antiquité, on racontait déjà que Thalès, se promenant de nuit, devint si absorbé par la contemplation des astres qu’il... tomba dans un puits. À force de se plonger dans ses inventions ou ses découvertes, le scientifique perd peu à peu le contact avec l’ordinaire et avec ceux qui ne participent pas à son aventure.

Le système éducatif français ne rejette pas complètement les élèves qui ont ces goûts et ce profil. Sous réserve que leur talent les y autorise, ils pourront intégrer une ENS et échanger entre eux ou avec leurs aînés déjà enseignants. Aux écrits des ENS, seules les épreuves de sciences comptent.

Toutefois, 99 % des élèves de prépa suivront plutôt la voie qui mène à l’ingénierie. Et un ingénieur n’a pas le luxe de vivre dans une bulle. Il dialogue au quotidien avec des techniciens, des managers et des comptables, parfois même avec des utilisateurs. Sa capacité à communiquer avec des non ingénieurs peut étayer ou couler son projet, faire ou défaire sa carrière. Même réfugié dans un bureau d’études, il devra défendre ses approches, exposer ses idées, convaincre ses clients, rallier les hésitants.

Et puis, les astronomes d’Armageddon ne sont pas seulement introvertis, ils sont négligés dans leurs corps comme dans leurs vêtements parce qu’ils vivent dans leurs têtes. Ils n’ont pas l’étoffe de leaders capables de souder une équipe, lui donner une direction et l’aider à surmonter les échecs. Toutes choses qui sont, a contrario, utiles à un ingénieur.

Nommer « anomalie » un astéroïde, chiffrer sa taille en millions de quelque chose plutôt que par une approximation immédiatement parlante comme « la taille du Texas », c’est un défaut d’intelligence comme d’adaptation à une situation de communication qui réunit savants et décideurs politiques. C’est une incapacité à choisir la langue adéquate et une méconnaissance de la nécessité de maîtriser correctement la langue ordinaire.

Ton école d’ingénieurs te formera – un peu – à ces compétences « humaines », « sociales » ou « comportementales », qui passent toutes par la maîtrise du discours. Mais, comme pour les maths, elle s’attend à ce que tu aies déjà des bases solides. Et elle souhaite le vérifier lors des concours.

Le problème, c’est qu’aucune discipline académique ne correspond trait pour trait aux attentes. Il n’y a pas d’agrégation d’intelligence émotionnelle, donc pas de prof pour l’enseigner.

Ce qu’il y a de plus proche, c’est le français.

Pourquoi les concours ont-ils choisi la dissertation ?

Pendant plus de mille ans, la Chine impériale a recruté ses fonctionnaires à l’aide d’examens anonymes. L’une des épreuves obligatoires était l’écriture d’un poème. C’est une idée intéressante, mais elle n’a pas été retenue par les concours des écoles d’ingénieurs en France.

Ils ne te demanderont pas davantage de réciter l’Iliade, comme dans la Grèce antique, de commenter des sonnets de Ronsard, de traduire Cicéron ou de mettre en scène une pièce de théâtre.

Dans toute la batterie des épreuves possibles, ils ont choisi celle qui est la mieux adaptée aux compétences qu’ils souhaitent déceler chez les candidats : la dissertation (et, pour certains concours, le résumé). Voici comment les jurys voient cet exercice :

« Les qualités qui assurent la réussite dans cette épreuve sont celles que l’on attend d’un futur ingénieur, discernement, approche méthodique, bon usage du doute et juste appréciation des risques avant de prendre une décision, mais aussi rapidité et fermeté. »

Pour comprendre ce point de vue, il faut examiner en détail une question que les profs abordent rarement, faute de temps.

Une dissertation, qu’est-ce que c’est ?

Tout part du libellé, terme qui est synonyme, dans le contexte de la dissertation, d’« énoncé ». Dans les concours scientifiques, il se présente toujours sous la forme d’une citation. On est invité à dire si l’on « souscrit à ce jugement », à le « commenter » et le « discuter », à « examiner sa pertinence », à évaluer si la citation « éclaire » notre lecture des œuvres au programme ou si elle permet de l’« approfondir ». Toutes ces formulations ont le même sens : « dissertez ».

Le premier travail est de décortiquer la citation. Elle est toujours une manière de présenter un enjeu, un problème qui mérite que l’on s’y arrête quatre heures, mais qui n’est pas écrit en toutes lettres.

Imagine, tu es mécanicien. Un conducteur t’apporte sa voiture en se plaignant que « Quand je freine, elle part vers la droite. » Ça, c’est le problème apparent, celui qui figure dans la citation. Tu ne vas pas dire à ton client « Ben, tournez le volant vers la gauche quand vous freinez ! » La solution (ta copie) ne peut pas se limiter à une réponse au problème apparent. Ton boulot, c’est de chercher ce qui est tordu, mal serré, cassé, trop usé ou pas assez huilé et qui provoque la dérive. Tu dois trouver le vrai problème avant de mettre en œuvre une vraie réparation.

Ou encore, tu es médecin. Ton patient se plaint d’avoir mal au pied gauche quand il monte des escaliers. C’est son problème apparent. Tu ne vas pas lui prescrire de monter les escaliers à cloche-pied en n’utilisant que le pied droit ! Pour identifier le problème dont la douleur est une manifestation, tu dois énumérer les causes possibles (os ? muscle ? nerf ? cartilage ? sang ? lymphe ? etc.), tester des hypothèses, t’engager sur un diagnostic. C’est le travail de problématisation dont je te parlerai plus loin.

Réfléchis quelques instants, tu trouveras aisément d’autres exemples où l’on ne peut pas se contenter des apparences pour résoudre un problème.

Aller en profondeur, c’est une bonne partie du métier de l’ingénieur. Parce qu’il comprend tout ce qui fait marcher un appareil, il est capable de diagnostiquer finement ses pannes, mais aussi de l’améliorer ou de le réinventer, en mieux. Ces capacités sont déjà évaluées par les épreuves scientifiques. L’existence de l’épreuve de français a d’autres motivations que de les noter. Mais au moins, les concours ont aligné le type d’exercice de français avec le type de candidat : quitte à utiliser le français pour détecter les geeks, autant le faire d’une manière qui met en valeur les qualités d’un ingénieur.

Dans une dissertation, l’interaction entre la formulation de la citation et le problème qui lui est sous-jacent fait jaillir une question (ou plusieurs) que l’on appelle une problématique. J’y reviendrai en détail page 35.

Ce qui figure sur ta copie, c’est ta réponse à cette question. Mais attention, ce que l’on te demande, ce n’est pas ton avis en mode moi-je-pense-que. Il est apprécié que tu aies un avis, et à ton gré tu peux plaider blanc, noir, rouge ou vert. Mais, comme en maths, cela ne vaut rien sans le raisonnement qui justifie ton avis. Tu dois convaincre, jouer à l’avocat en respectant certaines formes :

En résumé:

La dissertation est la mise en scène d’un raisonnement.

Comment rater sa dissertation ?

Une autre manière de comprendre ce qu’est une dissertation, puis comment la faire, c’est d’examiner les erreurs les plus fréquentes dans les copies.

S’il y a bien une chose dont les examinateurs se plaignent année après année, rapport après rapport, c’est l’absence de problématisation véritable. Cela peut prendre plusieurs formes, dont la plus classique est le refus de prendre à bras-le-corps la citation exacte et complète de l’énoncé. Ça semble tellement plus sécurisant de plaquer des considérations apprises en cours ! On dit des choses intelligentes, on écrit une longue copie en 3 parties et 9 sous-parties, on n’a pas séché – mais, patatras, la note n’atteindra jamais la moyenne. Imagine la tête de ton colleur de maths si tu changeais un peu l’énoncé de son exercice afin d’être dans le cas

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Pourquoi un thème et trois œuvres ?

Revenons aux exemples du mécanicien et du médecin (page 18). On leur présente un problème apparent, et ils doivent en chercher la cause profonde. Ce qui les rend capables de ce travail d’investigation technique et difficile, c’est leur connaissance approfondie de leur domaine d’expertise. Demanderais-tu à un mécanicien d’opérer une appendicite ? À un médecin de changer une courroie de transmission ? Évidemment pas : à chacun son domaine.

Or, en français-philosophie, on te demande d’effectuer un travail de même nature que ces deux spécialistes : déterminer le problème apparent soulevé par la citation puis en identifier un autre, plus profond. C’est l’étape initiale, la recherche, ou construction, d’une problématique. Elle n’est possible qu’en ayant en tête les grands enjeux qui sous-tendent la citation de l’énoncé. La connaissance de ces enjeux t’est aussi indispensable que la maîtrise de la physiologie l’est au médecin. Sans elle, tu ne pourrais rester qu’à la surface et rater ton diagnostic.

Le problème, c’est que... tu n’y connais pas grand-chose, à ces enjeux. Et tu n’as pas le temps d’acquérir des connaissances extensives dans tous les domaines du français et de la philosophie.

Alors, de manière pragmatique, le ministère délimite un champ restreint de la connaissance et appelle cela le thème de l’année. Tu as la garantie que les concours ne t’interrogeront pas sur un autre domaine. En échange, tu dois faire l’effort d’acquérir des connaissances robustes dans ce domaine précis.

Comment travailler le thème ?

Le thème annuel n’est jamais un sujet hyper pointu, façon « Les chevaliers de l’an mil sur le lac de Paladru ». Il est choisi pour être accessible. Il a la tête de ton voisin de palier. Voici quelques exemples de thèmes sur lesquels tes prédécesseurs ont travaillé:

L’amour

L’enfance

La démocratie

L’argent

L’aventure

La parole

La guerre

La justice

Le travail 

Ce n’est pas intimidant. Avant même d’avoir étudié, on a déjà des choses à dire. Mais ne crois pas que tes vagues connaissances générales suffiront à t’extraire des banalités. Par exemple, un élève de lycée n’a pas de raison de se méfier si on lui demande de parler de la multiplication. Il va croire qu’il a de la chance d’avoir tiré un sujet aussi facile. Le pauvre. Il n’a pas encore entendu parler des groupes non commutatifs ni des matrices.

Un thème facile d’accès te permet d’y penser à l’occasion des événements de la vie. Fais-le, vraiment ! Les fois où, dans ta vie de tous les jours, se présente une situation qui peut se rattacher au thème de ton année, essaie de la mettre en perspective, d’identifier ses ressorts profonds, de prendre position, d’imaginer une argumentation. Cette approche ancrera en toi le thème d’une manière qui t’aidera à t’approprier les théories, puis à déchiffrer les libellés. En outre, tu auras un avis personnel à proposer dans tes raisonnements et dans tes conclusions. Cela t’aidera à éviter des développements naïfs, convenus ou banals.

« L’épreuve valorise ceux qui possèdent vraiment leur savoir et leur pensée, qui n’essaient pas d’éblouir par de fausses richesses, empruntées puis étalées sans discernement. »

À ton bricolage d’amateur, il faudra ajouter des connaissances théoriques sur le thème de l’année. C’est là que tu seras mis en contact avec ce que des générations de penseurs ont élaboré avant toi. Cette étape est absolument essentielle. Imagine qu’on te laisse pendant toute ta prépa dans un laboratoire de TP, avec accès illimité aux instruments mais à aucun livre : on peut parier qu’au bout de deux ans, tu sauras moins de choses en physique-chimie (mais tu les sauras mieux) que ceux qui ont étudié, en cours, les savants du passé.

Si tu as un bon prof de français-philosophie, il t’aidera à identifier et comprendre les grands enjeux. Tu les trouveras également dans ce livre, page 73. Tu voudras peut-être aussi consulter un ouvrage proposant une synthèse accessible des réflexions dans ce domaine.

Enfin, la troisième ressource pour apprivoiser le thème n’est pas la moindre. Il s’agit des œuvres au programme. Pourquoi ont-elles été choisies pour illustrer ce thème ? Quels passages lui sont particulièrement reliés ? Quelles idées sont développées ? Quelles autres sont sous-entendues ? De quelle manière pourras-tu les utiliser dans tes dissertations ? Comment les personnages s’opposent-ils ou se complètent-ils vis-à-vis du thème ? Tu dois lire les œuvres en ayant en permanence en tête le thème de l’année.

Pourquoi 3 œuvres ?

Dans sa sagesse, le ministère a borné ton étude à un thème. Mais c’est encore trop vaste. Combien de philosophes, d’artistes, d’historiens ont parlé d’amour ? d’argent ? de guerre ? Il n’est pas envisageable de trouver son chemin dans un seul de ces thèmes en n’y consacrant que deux heures par semaine.

Alors, dans la forêt du thème, le ministère a sélectionné trois arbres, pas plus. Il te garantit que les concours ne te demanderont pas d’étayer tes dissertations en utilisant d’autres œuvres que celles-ci. En échange, tu dois en acquérir une connaissance approfondie.

Les œuvres sont choisies pour apporter des éclairages variés sur le thème. Cependant, elles ne permettent pas d’en faire un tour complet. En choisissant les œuvres, le ministère a également choisi un sous-ensemble du thème. Tu ne pourras pas être interrogé sur son complémentaire, car tu ne pourrais pas t’appuyer sur les œuvres au programme pour discuter la citation de l’énoncé. Cela fait une raison supplémentaire de lire les œuvres en gardant le thème à l’esprit.

Imposer des œuvres te rend aussi service d’une autre manière. Cela t’évite d’arriver aux écrits sans avoir rien lu, même pas des citations choisies. Cela t’évite également de citer des œuvres à contre-emploi (comme illustrer la guerre par Roméo et Juliette) ou des auteurs qui ne sont pas vraiment adéquats à ce niveau d’étude (comme Isaac Asimov).

Il faut remarquer que le choix du ministère ne s’est pas porté sur une seule œuvre pour illustrer le thème. En effet, cela conduirait à opposer l’auteur de la citation de l’énoncé à l’auteur de l’œuvre unique, ce qui rendrait difficile de mener une discussion complexe.

A contrario, il n’y a pas non plus cinq œuvres au programme. Ce n’est pas seulement parce que trois œuvres suffisent à te permettre de disserter. Ni seulement parce que tu manques de temps pendant l’année. C’est aussi parce qu’idéalement, chacune des œuvres au programme devrait être convoquée dans chacune de tes sous-parties. La durée des épreuves aux concours limite le corpus qui doit être mobilisé.

La nature exacte de l’épreuve du concours est une comparaison d’œuvres car il s’agit véritablement d’une dissertation de littérature comparée : elle a pour objectif de pousser chacun à produire une réflexion informée et personnelle autour d’un grand thème de société en ouvrant le champ culturel à la fois dans le temps et dans l’espace.

Concrètement, comment faut-il lire les œuvres ?

D’abord, une bonne nouvelle. Selon des estimations de correcteurs aux concours, environ un tiers des candidats arrivent aux écrits sans avoir lu une seule des œuvres au programme. Ceux-là ne pourront pas avoir la moyenne. Il te suffit de faire des trois œuvres tes livres de chevet deux fois dans l’année pour leur passer devant.

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Comment les correcteurs notent les copies de français

La première fois que j’ai publié le tableau ci-dessous, j’ai reçu un appel téléphonique. Une dame. Elle s’est présentée comme la responsable de l’épreuve de français au concours *** (l’un des quatre grands concours que tous les élèves de prépa connaissent). Elle était furieuse.

Elle m’accusait d’avoir recueilli les confidences d’un correcteur et publié le barème sans en demander l’autorisation. J’ai protesté que je ne ferais jamais une chose pareille et que j’avais trouvé l’information dans un rapport du jury. Elle m’a dit que c’était elle qui écrivait ces rapports et qu’elle était donc bien placée pour savoir qu’aucun d’eux ne contenait le barème.

Elle présidait le jury depuis plusieurs années. Mais pour écrire ma méthode, j’avais consulté – entre autres – les rapports de tous les grands concours en remontant les archives sur quinze ans. Quand nous nous sommes quittés, elle était toujours agitée. Mais aussi intriguée.

Comme c’était une personne rigoureuse, elle a fini par prendre le temps de dépoussiérer les vieux rapports et vérifier mes dires. Et comme c’était aussi une personne élégante, elle m’a rappelé pour présenter ses excuses.

Pourquoi cette anecdote ? Pour souligner que le tableau, sous des apparences bénignes, apporte des informations que le jury lui-même considère comme précieuses – et secrètes. Elles méritent que tu t’y arrêtes.

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Comment faire avouer la citation de l’énoncé

Un sujet terrifiant a été posé aux Mines l’année où le thème était « l’enfance ». Glisse-toi dans la peau d’un candidat ce jour-là. Il fait beau, tu as travaillé le thème, tu as les œuvres bien en tête, tu es optimiste, quoiqu’un peu nerveux, et tu découvres l’énoncé suivant.

« L’enfance est comme les copies flammes qui rétrécissent avec le temps, pour ne plus laisser voir que les ombres mouvantes. »

(Gérard Macé, L’Art sans paroles, 1999.)

Vous direz dans quelle mesure cette citation [etc.]

Qu’est-ce que c’est que ces « copies flammes »  ? Elles sont au centre de la citation et tu n’en as jamais entendu parler. Pire, tu ne devines pas du tout ce que cela peut être. Tu te demandes si tu as raté quelque chose, si tu es devenu soudainement idiot ou si tout le monde est en train de se poser les mêmes questions que toi. Comment espérer disserter dans ces conditions ?

Voici ce qu’en disait le rapport du jury, six mois plus tard. « Les candidats n’ont que rarement exploité la comparaison avec les copies flammes. » Évidemment ! Personne n’y a rien compris ! « Certains n’ont retenu que l’image du feu pour exploiter le caractère enflammé des enfants ; d’autres celle de la copie pour traiter du mimétisme enfantin copiant le modèle adulte. » Voici comment sont remerciés ceux qui, courageusement, ont tenté d’exploiter au moins l’un des deux termes...

« Contre-sens importants alors que l’idée même de pellicules, de supports sur lesquels des images venaient se fixer, leur a échappé. » Des pellicules ? Sérieux ? Les « copies flammes » sont des pellicules, de photo ou de cinéma ? On était supposé deviner ça ? Et pourquoi rétrécissent-elles ?

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Comment connecter la citation et les œuvres

Connecter la citation et les œuvres au programme a deux objectifs. Les œuvres vont servir de terreau, mais aussi de sécateur.

Le premier objectif est de continuer à enrichir les sens possibles de la citation par des associations d’idées. À l’étape précédente, tu as identifié des interprétations de la citation qui n’étaient pas évidentes à la première lecture. En examinant si une interprétation a du sens dans les œuvres, tu vas trouver des angles nouveaux ou affiner ceux que tu as déjà trouvés. En effet, dès que tu te souviens d’un passage d’une œuvre, de nombreux éléments viennent s’ajouter via l’intrigue, les caractères des personnages ou les réflexions de l’auteur de l’œuvre.

Le deuxième objectif est au contraire d’exclure certaines interprétations. L’analyse du libellé était un travail essentiellement formel. Il est donc inéluctable que certaines lectures ne correspondent pas aux œuvres. Une manière de le comprendre, c’est de remarquer qu’il y a plus de langage que de réalité. Je peux imaginer qu’au Pays des merveilles, une mongolfière rouge emporte Alice jusqu’à la Lune. Mais cela ne figure pas dans le conte et ne doit donc pas être retenu.

On exclut ainsi des interprétations par cohérence, mais aussi pour une raison pratique. Si une idée n’est pas présente, ou pas suffisamment présente, dans les œuvres (plus rigoureusement : dans les passages des œuvres dont tu te souviens), ces dernières ne pourront pas illustrer un raisonnement s’appuyant sur cette interprétation. Les sous-parties associées seraient réduites à des spéculations sans exemples, donc sans valeur.

Maintenant que le but est clair, passons à la pratique. Rapporter une interprétation de la citation à un passage précis d’une œuvre n’est pas difficile. Ce qui pose problème, c’est de trouver les

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Comment construire une problématique qui tape dans le mille

La construction d’une problématique est le moment le plus difficile de la dissertation. Tout le travail sur le vocabulaire et sur les œuvres sert à rendre possible cette étape. Si ce n’est pas évident, si tu rames, tu es sur la bonne piste. C’est la composante la plus indispensable de la dissertation, mais aussi la moins bien comprise et la moins bien réussie.

« Certains seront surpris, après avoir couvert des pages sans prendre le temps de réfléchir, d’obtenir une note très faible. »

Je vais commencer par des évidences. Une problématique ne coïncide jamais avec une question traitée en cours.

« La dissertation ne peut se limiter à une question de cours, à un simple étalage de connaissances, même quand elles sont réelles et intéressantes. »

Ce n’est pas une question arbitraire jetée en pâture au correcteur.

« Proposer une problématique, ce n’est pas faire semblant de poser une question ; c’est soulever ce qui fait question. »

Ce n’est pas une pluie de questions décousues.

« La problématique formulée par le candidat dans l’introduction ne saurait être une série de questions parmi lesquelles la correctrice ou le correcteur devrait piocher ce qui lui convient. Cette forme un peu désinvolte montre moins de faconde que d’embarras et fait sentir une difficulté à resserrer précisément la pensée. »

« La problématique se réduit parfois à une vague question ou, à l’inverse, s’éparpille dans une série d’interrogations qui ne permettent pas de rendre compte des aspects centraux du sujet. »
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Comment élaborer facilement un plan : en effet, toutefois, en fait

Ta problématique a ouvert une réflexion ; ta conclusion devra apporter des réponses claires. Attention, je dois préciser une chose importante : on ne te demande pas une réponse exacte et complète au problème. C’est impossible. Cela fait vingt-cinq siècles que des philosophes et des artistes s’y essayent... Toute réponse dépend de présupposés, d’hypothèses, de définitions, de sorte qu’elle ne peut pas clore le sujet ; elle vient l’éclairer, l’exposer, l’expliquer. Tu auras une réponse possible, personnelle, mais jamais une réponse définitive, c’est-à-dire indiscutable. La vérité d’une dissertation n’est pas la vérité définitive du problème posé.

Les correcteurs n’attendent pas de toi une réponse particulière qui serait la seule possible. Ce qu’ils veulent, c’est que ta conclusion découle logiquement d’un raisonnement.

Logique, preuve et rigueur en français

Il y a un vrai problème de compréhension entre les élèves scientifiques et les profs de lettres. Quand ces derniers parlent de « preuve », de « raisonnement », de « démonstration », de « rigueur », les premiers rient sous cape. Mais ils ont tort.

Pense à un livre ou à un film que tu aimes bien. L’histoire est cohérente. Les personnages sont fidèles à eux-mêmes, y compris quand ils évoluent. Pense à une musique que tu aimes : elle ne change pas complètement en plein milieu. Elle forme un tout harmonieux. Donc même dans l’art, il y a une logique, une homogénéité.

A fortiori, un discours qui s’appuie sur des œuvres peut être logique. Bien évidemment, les critères de la rigueur ne sont pas

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Comment rédiger un devoir de français

Dans les chapitres précédents, je t’ai parlé du travail que tu dois faire au brouillon. On va maintenant s’intéresser à tous les aspects de la rédaction au propre de ton devoir. Dans ce chapitre facile, je vais commencer par le B-A-BA. J’en aurais fait l’économie si les rapports ne pointaient pas unanimement des manques graves et répétés dans ce domaine. Pas dans toutes les copies, heureusement, mais dans suffisamment d’entre elles pour étonner et énerver les correcteurs – et faire plonger la note.

Le conseil de Monsieur de la Palisse : pour être lu, il faut être lisible ; pour être compris, il faut être compréhensible.

Présentation et écriture

Regarde une nouvelle fois le schéma de principe d’une dissertation page  : ton devoir doit comporter 15 paragraphes.

Un paragraphe, c’est un bloc de texte comme celui-ci : il est visuellement séparé du précédent par un retour à la ligne et il débute par un blanc que l’on appelle « retrait », « alinea » ou « indentation ».

Ce qui compte, c’est que ton correcteur puisse repérer au premier coup d’œil la structure de ton devoir. Pour cela, saute des lignes aux endroits indiqués page .

« La mise en page doit être soignée : les paragraphes doivent débuter par des alinéas visibles et réguliers, les grandes étapes (introduction, développement, conclusion) doivent apparaître clairement en sautant des lignes, les grands axes doivent être bien distincts les uns des autres. »

Et... ne saute pas de ligne ailleurs.

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Comment charmer le correcteur dès l’introduction

Tu connais l’importance de faire une bonne première impression. Quand une personne te plaît dès le premier regard, tu as envie d’en savoir plus et tu es prêt à bien des indulgences. C’est cette bonne disposition d’esprit que ton introduction doit susciter chez le correcteur. Il la considère comme une pièce maîtresse de ton travail.

« L’introduction donne sens et raison d’être à tout le développement. »

Le rôle de l’introduction est d’exposer ce que tu as compris de l’énoncé et ce que tu vas en faire.

« L’introduction a vocation à éclairer le sens de la citation et à en faire apparaître l’enjeu. »

Cela va se dérouler en plusieurs temps, qui ont chacun leur fonction.

« L’analyse du sujet définit les termes ainsi que les enjeux de la thèse (ce que le sujet veut dire) pour permettre la formulation de la problématique (interrogation sur les limites de la thèse) et du plan (projet de réponse à la problématique). »

Mais il y a aussi un enrobage artificiel. Tu dois faire comme si ton correcteur ne connaissait ni la citation de l’énoncé, ni la liste des œuvres au programme. Il t’est demandé de les écrire dans ton introduction afin qu’elle ne comporte aucun implicite. Tu en fais ainsi un texte autonome, théoriquement compréhensible par un lecteur qui ne disposerait d’aucune information extérieure.

Ce n’est pas plus artificiel qu’un costume-cravate. Cela donne de la tenue à l’exercice.
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Comment faciliter le travail du correcteur en balisant le cheminement

Ton correcteur doit savoir en permanence où tu en es dans ton raisonnement et où tu vas.

Tu as commencé à l’y aider en décidant d’utiliser (exactement) 15 paragraphes (regarde de nouveau page ).

« La forme n’est pas un vain artifice mais un outil pour révéler le fond. »

« Trop de copies négligent la typographie du texte, qui permet de repérer le raisonnement. »

« La mise en forme d’un devoir, organisée, claire et lisible, témoigne du souci de communiquer efficacement. »

Et de sauter (exactement) 4 lignes sur l’ensemble du devoir.

« Les sauts de lignes sont nécessaires entre l’introduction et le début de la première grande partie, entre les grandes parties, et entre la fin de la dernière grande partie et le début de la conclusion. Pas de saut de ligne entre les paragraphes d’une même partie (l’alinéa suffit à les distinguer). »

PIC

Comme les copies de concours sont quadrillées de carreaux de 5 mm de côté, il faut sauter une ligne du quadrillage à chaque fois que tu reviens à la ligne. « Sauter une ligne » signifie donc laisser blanche une ligne sur laquelle tu aurais pu écrire. Sur la copie, trois lignes du quadrillage restent blanches.

« Les candidats qui forment des lettres microscopiques ou écrivent sur toutes les lignes (espacées de 5 mm) rendent plus difficile l’accès à leur pensée. »
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Comment affirmer un argument et le prouver dans chaque sous-partie

« Si je n’avais qu’une heure pour résoudre un problème », a affirmé en 1960 le directeur du département d’ingénierie industrielle de l’université de Yale (États-Unis), « je passerais jusqu’à 40 minutes à le définir ». C’est dire l’importance de la préparation. C’est pour cette raison que ton travail au brouillon a occupé jusqu’à la moitié du temps de l’épreuve. Le premier passage que tu rédiges directement au propre, c’est le paragraphe d’introduction à la partie I.

Si tu as suivi les conseils précédents, tu as mené une analyse de forme et de fond de la citation, tu as élaboré une problématique fonctionnelle et tu en as déduit un plan qui amène logiquement à une conclusion. Ce n’était pas trivial, mais pas non plus insurmontable. D’après le barème page , ta copie aura entre 8 et 20. Si les parties de ton développement sont équilibrées et si tes exemples ne se limitent pas à ceux du cours, tu auras au moins 10. Jusqu’où ta note va-t-elle monter ? Cela dépendra principalement de tes sous-parties.

Une sous-partie se compose d’un unique paragraphe. Elle contient, dans cet ordre :

Les sous-parties représentent la majorité de la copie, en nombre de lignes. Tu n’as matériellement pas le temps de les rédiger d’abord au brouillon. Mais tu ne pars pas de zéro : dans ton plan détaillé,

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Comment conclure en beauté: fromage et dessert

Dans Terminator (1984), l’intelligence artificielle Skynet a pris le contrôle du monde et tente d’exterminer l’humanité. Pour se débarrasser de John Connor, le chef des rebelles, elle envoie un robot dans le passé pour assassiner sa mère Sarah. Le film montre la recherche et la poursuite haletante de Sarah par le terrible T-800. Le spectateur, tendu par le suspense et fasciné par le scénario, espère que Sarah survivra. Mais comment pourrait-elle venir à bout d’une machine indestructible, intelligente et inflexible ? La fin du film apporte la réponse (héroïsme, bombe artisanale et presse hydraulique industrielle) avant de laisser le public méditer sur les enjeux qui ont été soulevés et sur l’avenir qui se dessine, pour Sarah comme pour lui-même.

Ce film n’aurait jamais remporté autant de succès si sa conclusion avait trahi le développement par une résolution peu crédible. Le terrifiant combat devait s’achever par une défaite sans appel de la machine. Qui aurait pu se satisfaire d’un T-800 tombant soudainement en panne de batterie ? Ou qui déciderait d’entamer une nouvelle vie sur les plages d’Hawaï  ?

Les dernières scènes, apaisées, laissent en arrière la fureur de la lutte. Elles prennent de la hauteur et ouvrent des pistes.

Ce sont aussi les deux fonctions de la conclusion d’une dissertation : apporter une réponse à la question posée dans l’introduction et ouvrir vers des considérations un peu plus vastes. Fromage et dessert.

Ajoutons à cela la récapitulation du raisonnement mené dans le développement, afin que la conclusion découle logiquement de ce qui la précède.

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Comment disserter en nombre limité de mots à Centrale-Supélec

Aux concours CCINP et Centrale-Supélec, l’énoncé comporte un long texte, qu’il faut d’abord résumer. Un bref passage de ce texte est mis en valeur par l’énoncé et sert de libellé pour une dissertation. Le tout doit être réalisé en quatre heures. Et à Centrale, en plus, le nombre de mots de la dissertation est limité à 1800.

« La dissertation devra obligatoirement confronter les trois œuvres et y renvoyer avec précision. Elle pourra comprendre deux ou trois parties et sera courte (au maximum 1800 mots). Cet effort de concision faisant partie des attentes du jury, tout dépassement manifeste sera sanctionné. »

Réussir une dissertation en deux parties, comme le mentionne cet énoncé, est possible mais demande un entraînement spécifique pour que le raisonnement dialectique reste efficace. À moins que ton prof ne t’ait spécifiquement préparé à disserter en deux parties, je te le déconseille. Tu risques de respecter le nombre de mots mais d’écrire une copie bancale.

D’ailleurs, le nombre de mots n’est guère un obstacle.

« Peu de copies ont été pénalisées pour un dépassement significatif du nombre de mots. »

Le jury conseille même d’atteindre le maximum de mots.

« Les candidats ont intérêt à tendre, sans l’excéder, au maximum autorisé  : les textes qui leur sont soumis sont complexes, leur restitution exige des nuances incompatibles avec une trop grande économie du discours. »

Je ne révèle pas un grand secret en disant que les correcteurs ne comptent pas les mots, ils estiment leur nombre. Après avoir lu cent copies qui sont à peu près dans les clous, le cerveau

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Les mots pour le dire

Anthropocène

Ce néologisme a beau avoir été fondé par un météorologue de renom (Crutzen), il n’est pas reconnu par la communauté scientifique, mais sa portée philosophique est importante. Ce concept s’inscrit dans les temps géologiques et désigne la période qui débute au moment où l’influence de l’être humain sur les écosystèmes est devenue significative à l’échelle de l’histoire de la Terre. Cela permet de donner une délimitation précise et moins théorique de l’état de la nature, ainsi que d’expliquer l’impact majeur qu’a eu l’homme sur le monde naturel. Toute expérience de la nature la dénature.

Connaissance de la nature

Grâce à la faculté mentale de notre conscience permettant d’accéder au monde en ayant assimilé les propriétés qui le font fonctionner, on atteint la connaissance. Mais la connaissance a plusieurs manières d’être assimilée : la connaissance rationnelle est le produit de la science, elle suit une méthode et vise à l’universel ; la connaissance empirique est le produit de l’expérience, elle émane d’un rapport au monde où s’accumulent pour tout individu des données. Ainsi vont se déployer deux sortes de connaissances : celles qui ensemble produisent un savoir et celles qui ensemble produisent des savoir-faire et des techniques.

Cosmos ou infini ?

Il y a deux manières distinctes de concevoir le monde de la nature : soit le cosmos (conception grecque d’un monde fermé et rationnel), soit l’infini (conception moderne d’un univers en expansion). Cependant, il ne s’agit pas seulement d’opposer deux conceptions irréconciliables théoriquement, mais aussi de la manière dont on fait l’expérience de la nature, et surtout à quelle échelle : car la nature renvoie à l’homme autant à sa propre finitude qu’à l’image d’un monde plus vaste dont il ne serait qu’une infime partie. Car l’homme ne fera jamais l’expérience de l’infini.

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Exercices d’exploitation des œuvres

Les jurys valorisent, certes, une lecture personnelle des œuvres. Néanmoins, certains passages sont incontournables. Ils doivent être connus, mais plus encore, compris, car ils éclairent l’œuvre dans son ensemble. Le florilège ci-dessous, appelé « best of » dans la méthode, doit être étudié par tout candidat sérieux.

Pour chacun des trois auteurs au programme, nous avons sélectionné quatre moments forts, de quelques lignes ou de quelques pages. Votre travail est d’abord de lire le fragment de texte, puis de vous poser trois questions :

Réfléchissez une minute sur chacune de ces questions. Surtout, notez ce qui vous vient à l’esprit. Le but de ce travail de la main n’est pas de produire des notes à relire plus tard. Il est de vous donner l’occasion d’éclaircir votre réflexion et de manipuler les concepts de l’année. Ceci n’est possible qu’en exprimant votre pensée, au lieu de la garder intérieure et intuitive. En outre, mais cela vient en dernier, écrire aide à mémoriser.

Ensuite seulement, comparez vos notes aux nôtres.

De l’émerveillement au danger

Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers : de « Nous étions enfin arrivés à la lisière de cette forêt » (Première partie, chapitre XVII) à « Au-delà, c’était cette portion du globe qu’il ne devait plus fouler du pied » (Première partie, chapitre XVII).

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Fiches de synthèse

Dans ce chapitre, nous allons mettre au travail les œuvres et le thème. Les cinq fiches de synthèse qui suivent considèrent chacune les « expériences de la nature » sous un angle différent.

Elles vous offrent d’abord une réflexion : que peut-on dire sur ces sujets ? comment le formuler ? des blocs cohérents se dégagent-ils ? Imprégnez-vous des idées proposées, car vous pourrez trouver utile de les développer à votre tour dans vos copies – sous une forme bien sûr différente car contrainte par les termes du libellé.

Elles vous montrent ensuite comment utiliser les œuvres, tout en approfondissant la connaissance que vous en avez. Saurez-vous trouver, pour chaque idée, d’autres exemples ?

Animal et animalité

L’expérience de l’altérité

Vivre avec des animaux, c’est évidemment s’inscrire pleinement dans la nature puisque l’on partage notre temps et notre espace avec eux et que l’on côtoie ainsi d’autres formes du vivant. Cependant, on ne peut que remarquer combien ils sont différents de nous : « Tous les chats font ainsi preuve d’une conduite mystérieuse, ils nous restent très étrangers et il nous est très difficile de les atteindre » [p. 125], dit la narratrice du Mur invisible. L’ensemble des formes animales qui sont décrites par Canguilhem pour évoquer les spécificités de l’expérience scientifique en biologie décline une grande variété de corps, de formes, de manières d’exister (oursins, hérissons, lapins...) qui peut provoquer chez le lecteur le même trouble, entre émerveillement et étourdissement, que celui

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Les citations à connaître

L’expérience scientifique de la nature

Jules Verne

Alors que Nemo présente le fonctionnement électrique du Nautilus à Aronnax, ce dernier affirme : « Il y avait là un mystère, mais je n’insistai pas pour le connaître. » (Première partie, chapitre XII)

« À ces raisonnements appuyés sur des chiffres, je n’avais rien à objecter. "J’admets vos calculs, capitaine, répondis-je, et j’aurais mauvaise grâce à les contester, puisque l’expérience leur donne raison chaque jour." » (Première partie, chapitre XIII)

Dans le chapitre « Ægri somnia », Aronnax décrit les expériences de Nemo pour mesurer les températures de la mer et s’interroge : « Je suivais ces expériences avec le plus vif intérêt. Le capitaine Nemo y apportait une véritable passion. Souvent, je me demandai dans quel but il faisait ces observations. Était-ce au profit de ses semblables ? Ce n’était pas probable, car, un jour ou l’autre, ses travaux devaient périr avec lui dans quelque mer ignorée ! À moins qu’il ne me destinât le résultat de ses expériences. » (Première partie, chapitre XXIII)

Pour tenter de survivre à la prison de glace, Nemo et Aronnax tentent de libérer de l’eau bouillante : « Nous réussirons, dis-je au capitaine, après avoir suivi et contrôlé par de nombreuses remarques les progrès de l’opération. » (Deuxième partie, chapitre XVI)

Georges Canguilhem

L’attention qu’on « donne aux opérations du connaître entraîne la distraction à l’égard du sens du connaître. »(Introduction)

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Exercices de problématisation

Les sens du mot « nature »

Dans un ouvrage posthume de 1874, Nature ; L’utilité de la religion ; Le Théisme : trois essais sur la Religion, John Stuart Mill explique que le concept de Nature s’entend selon deux significations principales (A et B) :

Ces deux grandes significations (la nature comme totalité et la nature comme altérité) permettent de saisir l’acuité du paradoxe contenu dans le thème de l’année :

Pourtant, les citadins qui abandonnent leur appartement en centre-ville pour la campagne, le temps d’un week-end ou des vacances, ont l’impression d’un retour à la nature.

Pourtant, les sportifs qui ont la sensation de se reconnecter à leur corps en le mettant à l’épreuve ont bien l’impression de faire là une expérience de la nature.

Pourtant, quand la maladie survient, chacun a bien conscience que la vie est fragile et qu’il s’agit bien là d’une expérience douloureuse de la nature.

Pourtant, quand on guérit et qu’on retrouve le plaisir de vivre, de respirer, d’aimer, on a bien l’impression de faire une expérience heureuse de la nature.

Et dans les trois œuvres au programme, la découverte en immersion des fonds marins chez Verne, la vie en autarcie dans la montagne d’une femme seule chez Haushofer, ou bien la méthode pour que la science rejoigne la nature dans l’expérimentation chez Canguilhem, traduisent bien la possibilité ou l’espoir d’une expérience de la nature.

C’est pourquoi, au-delà du paradoxe initial de la nature comme totalité et de la nature comme altérité qui étire le terme vers ses significations limites, le thème « Expériences de la nature » est bien traversé par des questionnements essentiels, des enjeux qui s’articulent autour de sens plus précis de la « nature ».

Faire l’expérience de la nature, cela peut être :

1. Faire l’expérience d’un principe de développement
2. Faire l’expérience d’un principe d’ordre
3. Faire l’expérience d’un principe de différence
4. Faire l’expérience d’un principe d’harmonie

Comment construire une problématique

Voici comment tirer une problématique d’un sujet de dissertation :

Nous avons sélectionné trois sujets de dissertation pour chacun des grands enjeux. Chacun d’eux est analysé et problématisé.

1. La Nature comme principe de développement

Même si les ramifications étymologiques du terme physis (nature en grec), sont nombreuses, on peut y voir l’idée d’une poussée, d’un jaillissement spontané que les Latins reprendront en choisissant le verbe nascor (naître en grec), pour traduire « nature ».

La nature se comprend donc ici comme une énergie spontanée, qui n’est produite par aucune cause technique, un jaillissement automatique, c’est-à-dire qui a en lui-même son propre principe de mouvement. Voici deux exemples pour comprendre cette idée :

L’euphorie printanière. À la sortie de l’hiver, dès que la météo octroie quelques jours de soleil et de chaleur, nos corps et nos cœurs, à l’unisson de la nature qui s’éveille et bourgeonne, semblent habités d’une énergie nouvelle, d’une espérance en des forces de recommencement et de développement.

Le « développement durable ». Les élèves au collège, au lycée, les étudiants à l’université sont aujourd’hui sensibilisés au « développement durable ». Par opposition au progrès écologiquement insoutenable, le choix du vocable est sans nul doute inspiré par cette intuition que la vitalité d’un processus, même s’il est porté par le génie humain, ne peut à moyen ou long terme se couper du principe de tout développement, la nature.

Exercice de problématisation 1.1
« [E]t qu’au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. »

(Descartes, Discours de la méthode, VI)

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Sujet analysé n° 1

« La nature ne fait rien en vain. »

Cette citation d’Aristote (Traité de l’âme) correspond-elle à votre lecture des ouvrages au programme ?

Corrigé proposé par François Tenaud

Analyse du sujet

Analyse des termes du sujet

Cette sentence se retrouve dans plusieurs traités d’Aristote et sert souvent d’illustration à la doctrine finaliste du philosophe. La fortune de la citation, très souvent reprise, tient à sa formulation sous forme négative : « ne fait rien en vain », plutôt que sous une forme positive, par exemple « fait tout en vue d’une fin ». Dans notre formule, Aristote choisit d’exprimer la finalité par la négation (« rien ») de son opposé (« en vain »), c’est-à-dire le hasard. Ce choix de la formulation n’est pas anodin car ce qui est en question, c’est justement ce qui s’oppose à la nature, ce qui la rend impossible, à savoir le hasard. En sept mots, la formule parvient à exprimer deux idées essentielles et complémentaires : la nature n’est ni vaine (elle s’oppose au hasard) ni aveugle (les choses ont des raisons d’être ce qu’elles sont).

Les deux idées sont complémentaires car elles permettent d’éviter deux formes d’expérience qui interdisent un contact avec la nature : le mécanisme et le providentialisme, c’est-à-dire l’idée que tout est absolument nécessaire soit par le fait de la causalité matérielle, soit par le fait de la Providence divine. Chez Aristote, l’expérience de la nature n’est pas religieuse sans être pour autant privée de signification. Dans sa formule, on trouve donc un équilibre fécond, propre à rendre une science de la nature possible car il affirme clairement que c’est bien la nature qui agit : « La nature

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Sujet corrigé n° 1

Notions : connaissance scientifique, connaissance de soi, récit de soi

« Le texte d’un soi s’écrit avec les textures du monde. Nous ne sommes pas au monde comme dans un espace géométrique. Nous ne sommes pas davantage devant la nature comme face à une carrière de matériaux à extraire, à exploiter et à manipuler. Même s’il nous arrive parfois de nous laisser aller à le croire. Pour nous, les matières et les êtres sont investis de partialité biographique. Les rencontrer, c’est aussi nous raconter. Certes, nous connaissons l’anonymat des matières ou des éléments atomiques qu’isole le chimiste. Certes, nous vivons l’anesthésie ou la perte des relations sensibles qu’encourage cette métrique qui prépare notre maîtrise de la nature. Avec la physique mathématique et les sciences de l’ingénieur, les qualités sensibles du monde naturel sont devenues des propriétés physiques. Une eau en bouteille affiche ses composés minéraux et ses pourcentages. Une rivière se débite en mètres cubes par seconde. Une forêt se quantifie en stères. Toutes les ressources naturelles cartographiées font aujourd’hui l’objet d’un suivi par une gouvernance par les nombres. Pourtant, dans une étrange dissonance, car nous sommes les mêmes personnes qui comptons la nature objectivement et qui la contons subjectivement, nos expériences de nature goûtent le monde intérieurement. Avant d’objectiver les matières à connaître comme si elles nous étaient toutes extérieures, et sans nous contenter d’éléments qui ne seraient que l’objet de nos projections et de nos représentations, n’est-il pas possible de s’installer au point de connivence où sujet et objet, monde organique et inorganique "co-naissent"  ? » (Jean-Philippe Pierron, Je est un nous, enquête philosophique sur nos interdépendances avec le vivant, 2021.)

La dissertation sur la phrase en gras sera courte (au maximum 1800 mots). Cet effort de concision faisant partie des attentes du jury, tout dépassement manifeste sera sanctionné.

Corrigé proposé par Pauline Pacaud

Analyse du sujet

Analyse des termes du sujet

Dans cette citation, Jean-Philippe Pierron affirme qu’au sein d’un même sujet cohabitent deux types d’expériences de la nature bien distincts qui, loin d’être en harmonie, sont plutôt dans un rapport d’« étrange dissonance ». D’un côté, « nous sommes les [...] personnes qui comptons la nature objectivement »: cette expérience objective de la nature la réduit à un ensemble de nombres et de propriétés physiques. C’est celle des scientifiques qui – objectivité oblige – restent à distance de leur objet d’étude pour mieux le connaître. C’est également celle de quiconque se sert de la connaissance de la nature dans le but de la maîtriser pour en exploiter les ressources. D’un autre côté, nous sommes aussi ceux qui « contons subjectivement » la nature. Cette expérience est celle d’une rencontre personnelle d’un sujet avec le monde organique (les autres vivants) et inorganique (les éléments naturels comme la mer, l’alpage, la forêt, etc.), expérience qui s’intègre alors dans son récit biographique. Pour finir, le philosophe appelle alors à dépasser cette « étrange dissonance » en nous invitant à une expérience de la nature qui serait une co-naissance. Ce jeu de mots sur la connaissance (« co-naissent ») donne à voir l’image d’une naissance commune de la nature et du sujet. Ce dernier renaît au contact de la nature lorsque l’expérience de celle-ci est non pas simplement révélatrice de ce qu’il était déjà de manière latente – ce qui participerait d’une simple connaissance de soi – mais lorsque cette expérience est véritablement transformatrice, donnant naissance à un nouveau soi. C’est en cela que la nature fait partie du récit de soi : on ne projette pas sur elle ce que l’on est de manière latente afin d’en prendre conscience dans un mouvement d’objectivation de soi, mais cette nature que nous « contons » s’entremêle dans le récit où un soi naît véritablement à lui-même. Comment comprendre en revanche l’idée que la nature réciproquement naît au contact de l’homme ? La nature est par définition ce qui est déjà là par opposition à la culture qui est une transformation de la nature par l’homme. Elle ne peut donc pas naître au contact de celui-ci : cela serait de la culture. Naître serait ici à prendre au sens figuré: la nature renaît sous nos yeux au sens où le sujet la voit alors d’une manière neuve, comme pour la première fois.

Confrontation aux œuvres

Dans Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne, l’ingénieux concepteur du Nautilus utilise toute l’étendue de ses connaissances pour exploiter les ressources maritimes, en ne prélevant cependant sur celles-ci que le nécessaire. Au-delà de ce rapport d’exploitation, c’est une véritable fusion qui a lieu entre le Nautilus et son capitaine avec la mer. L’apatride devenu un membre à part entière des océans meurt pour les hommes et renaît sous le nom de « Nemo ». Il s’oppose à deux autres personnages qui semblent incarner une expérience manquée ou limitée de la nature. Conseil, tout d’abord, qui ne voit le vivant qu’à travers le prisme des classifications produites par l’homme et qu’il connaît par cœur. Ensuite Ned Land, qui a tendance à réduire la nature à un immense terrain de chasse, intègre néanmoins volontiers la nature dans le récit qu’il fait de lui-même en tant que harponneur.

Le meilleur exemple d’un récit de soi qui s’écrit avec les « textures du monde » est celui que fait la narratrice du Mur invisible de Marlen Haushofer dans son rapport à l’alpage et aux animaux qui vivent avec elle. Son expérience la transforme radicalement – il y a une ancienne « elle » et une nouvelle. Symboliquement, cette transformation s’achève dans le meurtre final de celui qui, objectivement, aurait dû lui ressembler le plus.

Enfin, Canguilhem, dans La Connaissance de la vie, rappelle qu’une véritable science du vivant ne saurait se positionner d’un point de vue purement objectif et quantitatif. Grâce à la notion de « milieu », le philosophe montre la centralité du point de vue qualitatif d’un vivant singulier dans une connaissance de celui-ci. Par exemple, la connaissance de la tique dans « Le vivant et son milieu » implique de comprendre la rencontre entre celle-ci et son milieu propre, comment elle le perçoit et comment elle l’organise de manière à qu’il soit signifiant par rapport à ses valeurs vitales de tique (en l’occurrence, mener à terme le développement de ses œufs). Enfin, en redéfinissant le normal et le pathologique dans la conférence éponyme, il montre que la définition de la maladie ne peut se fonder uniquement sur l’écart par rapport à des normes au sens de moyennes statistiques globales en prétendant ainsi faire l’économie du ressenti qualitatif d’un sujet singulier.

Problématisation

La dissertation examinera les deux thèses suivantes :

D’un côté, il est incontestable que le sujet connaissant a bien une expérience de l’objet de sa connaissance (ici, la nature), de la même manière que l’exploitant est amené à bien connaître les ressources qu’il exploite, puisque c’est cette connaissance objective qui rend possible son exploitation. Le problème est que ce rapport à la nature reste extérieur, l’objectivité impliquant que le sujet reste bien à distance de l’objet à connaître. Le sujet fait bien des expérimentations sur la nature mais pas véritablement une expérience personnelle de celle-ci.

D’un autre côté, si l’on peut valoriser l’expérience subjective de la nature, celle-ci peut tomber dans l’écueil consistant à nier la nature en n’en faisant que la scène d’un théâtre où le soi se retrouve partout. La nature n’est alors plus que l’objet de la projection de soi. Par définition, la nature, par opposition à la culture, est ce qui n’est pas créé ni modifié par l’homme. Se voir alors partout dans la nature, en lieu et place de celle-ci, nous empêche de la saisir telle qu’elle est.

Il s’agira alors de se demander en quoi consiste précisément une expérience personnelle de la nature, en explorant la piste proposée par l’auteur qui est celle d’une co-naissance du sujet et de la nature.

Plan détaillé

  1. Nous sommes ceux qui « comptons objectivement » la nature : la connaître, la maîtriser, l’exploiter engage le sujet dans un rapport réducteur à la nature

    1. Parce qu’on n’expérimente la nature qu’à travers des catégories et des schèmes qui lui sont étrangers

    2. Parce que la nature relève du qualitatif et non du quantitatif

    3. Parce que toute exploitation, même raisonnée, de la nature, est en discordance avec une expérience intime de celle-ci

    On ne peut nier que la connaissance de la nature soit une certaine expérience de celle-ci, mais elle maintient une distance. Une expérience plus intime consisterait alors à l’intégrer dans un récit de soi.

  2. Nous sommes ceux qui « la contons subjectivement »: se raconter à travers la nature, une expérience plus intime de la nature qui peut cependant également être réductrice

    1. Une véritable connaissance du vivant implique la centralité du sujet

    2. Se raconter à travers la nature : la nature comme projection de soi

    3. Les limites d’une telle expérience : est-ce toujours véritablement de la nature, dans son extériorité, que nous faisons l’expérience ?

    Comment, dans notre expérience de la nature, éviter ces deux écueils à savoir perdre la nature, soit en maintenant une distance objective avec elle, soit en l’oubliant derrière une projection de sa subjectivité sur elle ?

  3. Co-naître ou en quoi consiste une expérience véritable et personnelle de la nature

    1. Co-naître avec la nature, c’est lorsque le sujet renaît grâce à la nature

    2. L’ambivalence de l’expérience de la chasse

    3. Co-naître avec la nature, c’est fusionner avec elle

Dissertation rédigée

[Accroche] Garde forestier, physicien, poète romantique, tous prétendent faire l’expérience de la nature et pourtant nous avons l’intuition qu’il ne s’agit pas exactement de la même expérience. [Citation] Jean-Philippe Pierron écrit : « Le texte d’un soi s’écrit avec les textures du monde. [...] dans une étrange dissonance, car nous sommes les mêmes personnes qui comptons la nature objectivement et qui la contons subjectivement, nos expériences de nature goûtent le monde intérieurement. Avant d’objectiver les matières à connaître [...], n’est-il pas possible de s’installer au point de connivence où sujet et objet, monde organique et inorganique "co-naissent"  ? » [Analyse] Autrement dit, nous avons une double expérience de la nature : une objective, calculatrice et scientifique d’un côté et une subjective, qualitative et biographique de l’autre. Symétriquement, notre expérience de la nature peut connaître deux écueils : rester bien à distance, pour le bien de l’expérimentation mais au détriment d’une expérience personnelle de la nature ou au contraire l’absorber, en ne voyant plus en elle que nous-mêmes. [Problématique] En quoi consiste précisément une expérience personnelle de la nature, celle d’une co-naissance, d’une naissance consubstantielle du sujet et de la nature dans une même expérience ? [Plan] Nous examinerons les deux premières expériences opposées de la nature dans les deux premiers moments, puis nous essaierons de comprendre en quoi peut consister, d’après l’auteur, l’expérience d’une co-naissance. [221 mots]

Nous sommes ceux qui « comptons objectivement » la nature : la connaître, la maîtriser, l’exploiter engage le sujet dans un rapport réducteur à la nature. [24 mots]

La connaissance peut engendrer une expérience réductrice de la nature parce qu’on ne l’expérimente plus qu’à travers des catégories et des schèmes qui lui sont étrangers. Le personnage de Jules Verne, Conseil, est la caricature de celui dont l’expérience est médiatisée par des classifications dites « naturelles » mais qui relèvent plus d’une projection de la raison humaine sur le vivant que du vivant lui-même. En effet, si ces classifications ne sont pas totalement arbitraires, elles ne sont pas signifiantes pour le vivant. Canguilhem le montre dans La Connaissance de la vie : en réalité, il n’y a pas de classe, il n’y a que des organismes individuels et singuliers. C’est d’ailleurs l’une des difficultés dont doit tenir compte l’expérimentation biologique, explique-t-il dans « l’expérimentation en biologie animale »: par exemple, tester l’efficacité de vaccins anti-infectieux présuppose que ces individus fonctionnent en vase clos, comme s’ils n’avaient pas d’histoire individuelle et étaient donc identiques, ce qui est une fiction. [157 mots]

Par ailleurs, la nature relève du qualitatif et non du quantitatif. L’appréhender à travers des nombres est réducteur. Admirant le musée du capitaine Nemo, le narrateur de Vingt mille lieues sous les mers oscille entre considérer le « prix inappréciable » d’une telle collection, parce qu’impossible à imaginer, ou sa « valeur inestimable », au sens où ces raretés naturelles n’auraient pas de prix. De même, dans son essai sur « le normal et le pathologique », Canguilhem explique qu’une anomalie dans les données biométriques d’un individu, c’est-à-dire un écart par rapport à une moyenne statistique, n’est pas nécessairement pathologique. Reprenant les théories darwiniennes, il rappelle que certaines mutations ont permis à des individus de survivre dans certains milieux. Est pathologique ce qui impacte la qualité de vie d’un individu dans un milieu défini, et se fonder uniquement sur des données chiffrées pour distinguer un vivant « normal » et un vivant « pathologique » serait une erreur. [154 mots]

Voir la nature au prisme du quantitatif, c’est également ce que fait celui qui l’exploite. De toute évidence, la surexploitation de la nature en détruit toute condition d’expérience possible. Dans Vingt mille lieues sous les mers, Ned Land ne voit les animaux terrestres que comme « des porteurs de côtelettes et de roastbeefs » [chap. XXI]. Aucun souci de quota ne le traverse, y compris pour des espèces menacées comme le Dugong au sujet duquel Conseil fait remarquer qu’il faudrait l’épargner « dans l’intérêt de la science » [II, 17]. De plus, ce n’est pas parce qu’il y a une exploitation raisonnée, c’est-à-dire une gestion soutenable, que l’on peut conclure à une expérience intime et personnelle de la nature. Au contraire, dans le Mur invisible, si la narratrice a bien des réflexions gestionnaires sur son vivier de gibier, celles-ci entrent parfois en contradiction avec la compassion qu’elle a envers lui. Ainsi, sous le coup d’une folle impulsion, elle sacrifie ses marrons pour les donner à manger au gibier, tout en reconnaissant pourtant qu’« il serait plus raisonnable d’y renoncer car [il] n’a que trop tendance à se multiplier mais [elle n’a] pas le cœur à le laisser mourir de faim » [p. 162]. [195 mots]

Comment, dans notre expérience de la nature, éviter ces deux écueils à savoir perdre la nature, soit en maintenant une distance objective avec elle, soit en l’oubliant derrière une projection de sa subjectivité sur elle ? [36 mots]

Se raconter à travers son expérience de la nature semble une expérience plus intime de la nature mais peut également être réductrice. [22 mots]

Notons d’abord que toute connaissance authentique se fait en première personne : ainsi, Conseil ne connaît pas véritablement la raie torpille – bien qu’il sache la classer – avant d’en avoir fait l’expérience dans sa chair [I, 17]. Par ailleurs, le sujet individuel est central au sein de la nature aussi comme objet à connaître. Les expérimentations objectives sur le vivant dans le milieu neutre du laboratoire n’ont pas vraiment de sens biologique comme le montre Canguilhem. La biologie (science du vivant) nécessite de prendre en compte le point de vue d’un individu singulier qui organise un milieu par rapport à ses propres valeurs vitales [« Le vivant et son milieu »]. Connaître le vivant suppose de prendre en compte l’expérience propre de l’individu vivant à connaître. [118 mots]

Ensuite, à côté de l’expérience scientifique de la nature, une expérience plus subjective consisterait pour un sujet à l’intégrer dans un récit de soi qui fasse de la nature une projection de sa propre représentation du monde et de lui-même. Ainsi, la narratrice du Mur invisible semble se projeter sur ses animaux lorsqu’elle parle de l’indépendance relative de la chatte : « la chatte et moi étions faites de la même étoffe » [p. 235] ; ou projette ses propres désirs alors que sa vache s’occupe affectueusement de son veau [p. 171]. D’une certaine manière, Canguilhem, dans « l’expérimentation en biologie animale », montre que les théories scientifiques prétendant expliquer la nature sont parfois également des récits de soi au sens où elles sont l’écho de l’expérience pragmatique qu’une civilisation a de la nature. Ainsi, l’expérience de l’irrigation dans des sociétés agricoles a pu inspirer la théorie aristotélicienne et galénique du rôle du sang dans l’organisme, avant la théorie d’Harvey sur la circulation sanguine elle-même inspirée des techniques humaines de son époque. [171 mots]

Les limites d’une telle expérience sont visibles : est-ce toujours véritablement de la nature que nous faisons l’expérience ? On voit bien avec la théorie aristotélicienne et galénique les erreurs qu’engendre cette projection de soi sur la nature. Par ailleurs, il ne faut pas tomber dans l’anthropomorphisme concernant la relation à l’animal. Même si la narratrice du Mur invisible affirme que « les barrières entre les hommes et les animaux tombent très facilement. Nous appartenons à la même grande famille » [p. 274], elle reconnaît également ne rien savoir au fond de Perle, Bella ou même de la chatte : « que puis-je comprendre à son comportement. Qu’est-ce que je comprends même de sa vie. » [p. 126] [111 mots]

Comment, dans notre expérience de la nature, éviter ces deux écueils à savoir perdre la nature, soit en maintenant une distance objective avec elle, soit en l’oubliant derrière une projection de sa subjectivité sur elle ? [36 mots]

Une expérience véritable et personnelle de la nature serait celle d’une co-naissance. [13 mots]

La nature, pour la narratrice du Mur invisible comme pour le capitaine Nemo, n’est pas réduite à une toile de fond servant la projection d’un soi préexistant : c’est l’occasion d’une confrontation qui va permettre au sujet de renaître, se recréer. Ainsi, s’il garde une photographie de la famille de son ancienne vie dans sa chambre [II, 21], le capitaine Nemo est né autour de 1865, à en croire la date de parution du livre le plus récent de sa bibliothèque, la mer et son équipage sont sa nouvelle famille. Quant à la narratrice du Mur invisible, qui se définissait comme sédentaire [p. 13], elle monte à l’alpage en été, et sa famille se compose désormais de ses animaux. Son expérience de la nature la transforme physiquement et mentalement au point de parler de son ancien moi à la 3e personne : « il m’arrive de penser à la femme que j’étais avant [...], j’ai peine à me reconnaître en elle. » [p. 52] [157 mots]

Dans la chasse aussi, le sujet semble naître à lui-même via une confrontation avec la nature. Ainsi Ned Land, distinguant la chasse de la boucherie [II, 12] ; il fait d’elle un élément central du récit de soi : il se définit comme « harponneur », parle des baleines comme « de vieilles connaissances » [II, 5] et est traversé par l’émotion lors de sa première chasse au Dugong [II, 5]. À l’inverse, la narratrice du Mur invisible refuse de faire entrer cette « même vilaine affaire sanglante » [p. 225] dans un récit de soi : elle explique ne pas vouloir s’étendre sur le sujet, car « c’était bien suffisant d’avoir à le faire » [p. 62]. Quoi qu’il en soit, dans cette expérience de chasse, la naissance du sujet à lui-même suppose la mort de son objet. [122 mots]

Or, dans l’image d’une « co-naissance », il y a l’idée que le sujet naît à lui-même au contact de la nature, mais aussi, de manière plus mystérieuse, d’une naissance de la nature consubstantielle au sujet. À quoi cela peut-il correspondre ? La littérature montre une fusion de l’objet et du sujet, de la nature et de l’individu donnant naissance à un nouvel être hybride, aboutissement d’un long processus de cohabitation. À l’alpage, la narratrice du Mur invisible parle d’une fusion de ce « moi unique et séparé [...] dans la grande communauté » et au contact avec la forêt, elle décrit ceci : « c’est comme si la forêt avait commencé à allonger en moi ses racines pour penser avec mon cerveau ses vieilles et éternelles pensées » [p. 215]. Ce nouvel être, produit de la fusion entre l’homme et la nature, c’est aussi le capitaine Nemo : « ce n’était plus mon semblable, c’était l’homme des eaux, le génie des mers. » [I, 22] [155 mots]

[Réponse] La nature peut faire l’objet d’une pluralité d’expériences : objective, scientifique ou subjective, dans un récit de soi. Pierron invite à une 3e voie, aboutissement d’un long processus, où le sujet naît à lui-même grâce à la nature et en tant que partie organique de celle-ci. [Ouverture] On peut se demander comment nous, citadins, pouvons faire cette expérience et si les expériences actuelles de « retour à la nature » sont une façon de l’approcher. [72 mots]

Total : 1764 mots. Les correcteurs ont pour consigne d’accepter un dépassement s’il n’excède pas 10 %.

Éviter le hors-sujet

Bien des sujets pourront porter sur le rôle de l’expérience de la nature dans la construction du sujet ou inversement sur le rôle du sujet dans la construction de ce que l’on appelle « nature ». Cette dernière piste peut être illustrée par la célèbre phrase d’Oscar Wilde dans Le Déclin du mensonge : « Qu’est-ce donc que la Nature ? Elle n’est pas la Mère qui nous enfanta. Elle est notre création. » Cette phrase semble paradoxale : les créations de l’homme relèvent de l’artifice, de la culture et non pas de la nature. Ce que veut dire Wilde, c’est que la nature est ce que nous avons appris à regarder d’abord via les œuvres d’art : les fleurs ou les arbres sont devenus des éléments significatifs de la nature parce qu’ils ont été représentés par les artistes, par exemple les Tournesols de Van Gogh. Le sujet-artiste préexiste à la nature.

La spécificité de notre sujet est cette notion de co-naissance, image difficile à interpréter mais qui exige qu’on lui fasse droit. Elle nous invite à refuser la question de la primauté du sujet sur l’objet ou de l’objet sur le sujet pour penser une co-naissance, soit un jaillissement consubstantiel de l’individu et de la nature.

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